visiter Venise

#Itw #1 : Lucie, dis-nous, c’est comment la vie d’une française à Venise ?

Retrouvez Lucie du blog Occhiodilucie qui nous parle de sa vie à Venise.

Cette année, je vais essayer d’insuffler encore un peu plus de collaboratif et de partage sur le blog. En écho à mes billets et à vos commentaires, notamment lors du #débatdumardi, je souhaite vous proposer des interviews d’individus dont le parcours ou l’activité résonne sur cet espace. Numérique, voyage, entrepreneuriat, écologie … j’espère trouver des personnalités qui sauront illustrer à leur manière tous ces sujets que vous retrouvez sur le blog depuis 2012.

Pas de rendez-vous imposé, #lesitw arriveront sur le blog au gré de mes rencontres. Si vous avez des suggestions, je suis toute ouïe 🙂

On commence ce premier rendez-vous avec Lucie, française expatriée en Italie, à Venise plus précisément.
Si vous avez lu mes billets sur la belle Venise, vous savez que j’ai été un peu déçue de la Sérénissime, tout en étant tombée sous son charme fou … une sensation étrange, un amour/désamour paradoxal … et je trouvais hyper intéressant que Lucie puisse nous raconter sa vie quotidienne dans la cité lacustre, qui ne doit être égale à nulle autre.

Place au jeu des questions/réponses 🙂

* Lors de mon séjour, j’ai vu très peu de Vénitiens à Venise. J’imagine que toi, habitant sur place, tu en croises souvent. Où habitent-t-ils ? Parce que même dans le Cannaregio, j’en ai vu assez peu …
Cette question est intéressante parce qu’elle contient déjà l’une des principales problématiques de Venise : le ratio population locale / touristes est complètement déséquilibré. Ce qui fait qu’au quotidien, on a la sensation de ne voir que les touristes, pas les vénitiens ! Pourtant, une population d’environ 50 à 80 000 personnes vit Venise au quotidien. Le chiffre est approximatif, car les chiffres officiels ne prennent en compte que les résidents, et donc pas toute une frange « de passage » de la population : étudiants, jeunes actifs, étrangers expatriés…

campanile Venise

« Par la fenêtre, on voit le campanile, la place Saint Marc »

 

* Je suis curieuse de savoir ce que font les vénitiens comme boulot ?
Dans les restaurants, bars … nous avons croisé beaucoup de jeunes qui j’imagine, vivent à Mestre et non dans Venise même. Or, à part le tourisme, il y a peu de boulot sur la lagune non ?
Que font les vénitiens ? Il doit y avoir une part importante de retraités ?
Vivant à Venise même, je connais surtout des personnes qui habitent également sur les îles de la Lagune. Il faut dire que les personnes que je rencontre sont liées à mon travail, à mes colocataires, à mes sorties… dans un univers très vénitien donc. Côté boulot, les personnes que j’ai rencontrées sont nombreuses à travailler dans la culture : communication, montage d’expositions, Biennale d’Art et d’Architecture, événements culturels, institutions… Venise baigne dans une ambiance unique : une de mes élèves travaille par exemple pour une institution étrangère et définit son programme comme celui d’un « salon littéraire et culturel ». Une réalité que je pensais remisée au XVIIIe siècle !
Nombreux sont aussi les enfants dont les parents sont artisans : travail du fer ou du verre, lutherie… Un autre secteur qui revient souvent est bien entendu celui du tourisme : agence immobilière de location saisonnière, check-in, restauration, hôtellerie…

Enfin, il y a les vieux : Venise est pleine de retraités, oui. Sa population est vieillissante, surtout qu’il est très difficile pour une famille d’y vivre car accéder à la propriété est hors de prix. Donc oui, beaucoup déménagent à Mestre pour pouvoir acheter leur logement et trouver les commodités d’une vie normale.

voyager à Venise

* Dans ton billet sur ta vie à Venise, tu dis que les jeunes à qui tu enseignes le français, ont très envie de parler notre langue pour discuter avec les touristes. Mais quelle drôle d’idée !! Les anglo-saxons sont certainement plus nombreux j’imagine … Et ne sont-ils pas plutôt victimes du tourisme dans leur vie quotidienne ?
Victimes ou non, les vénitiens ont besoin du tourisme pour vivre aujourd’hui. Parler plusieurs langues est considéré comme un atout. On a souvent l’idée qu’il est inutile d’apprendre d’autres langues que l’anglais car cette langue suffirait à communiquer partout. Grosse erreur ! Déjà, parce que l’anglais est plus ou moins baragouiné par tous, et donc parler une autre langue en plus permet de se distinguer. Ensuite, parce qu’une bonne maîtrise du français peut être appréciée dans des domaines très divers. Par exemple, pour travailler sur le pavillon français pendant la Biennale, il est indispensable de parler français. Les hôtels et les restaurants apprécieront nécessairement que le personnel maîtrise d’autres langues. Les guides touristiques, les animateurs… parmi mes élèves j’ai par exemple un membre d’une famille de fabricants de masques. Parler français peut présenter une opportunité de communication avec des clients étrangers francophones. En parlant leur langue et non l’anglais, on construit une relation de qualité différente avec ses interlocuteurs.
Les entreprises ont également besoin de la langue. En janvier, j’ai commencé à donner des cours dans une boîte qui produit et commercialise des tissus : certains de ses clients sont français, il faut donc pouvoir échanger. Je pourrais multiplier les exemples, car cette réflexion fait partie de mon travail.

               « C’est une ville merveilleuse, on s’y sent proche de la nature, dans un monde d’iode, d’algues,
peuplé de hérons, de cormorans et où les étoiles sont revenues « 

 

Pour finir de te répondre, les anglo-saxons sont plus nombreux, mais le français serait la troisième langue parlée dans le monde, pratiquée sur cinq continents, langue de diplomatie, etc… C’est indéniablement une langue importante sur la scène internationale. La présence française à Venise est également importante : par exemple, la Punta della Dogana abrite la fondation Pinault, du collectionneur d’art et homme d’affaires français François Pinault. De plus, les français sont très nombreux à visiter Venise.

* Je connais pas mal l’Italie et j’ai trouvé les prix à Venise vraiment excessifs (restaurants, bar …) et les bonnes adresses – que nous avons estimées les plus authentiques qui soient – vraiment bondées et même dans les quartiers les plus excentrés. Nous avons dû réserver 1 ou 2 soirs à l’avance pour être certains de trouver une table …
Comment font les vénitiens pour profiter des plaisirs de la ville ? y’a-t-il un passe-droit pour les habitants ou doivent-ils jongler entre les réservations des touristes pour eux aussi, pouvoir manger au restaurant ?
Et est-ce vrai qu’il existe plusieurs sortes de tarifs ? ceux pour les touristes, ceux pour les vénitiens et ceux pour les expatriés ?

Venise et la foule, deux aspects malheureusement trop liés. Effectivement, il y a du monde partout, tout le temps. Les meilleures adresses ont jusqu’à 2000 recensions sur tripadvisor : pour une ville de cette taille, c’est énorme ! Alors oui, il faut toujours réserver pour aller manger au restaurant. Mais à Venise, quand on sort au pied levé, on ne va pas s’attabler au restau, on préfère déguster des cicchetti, petits antipasti, debout au bar. Côté tarifs, cette option est bien moins chère. Globalement, la règle, c’est que s’asseoir coûte cher. On est souvent debout sauf quand on décide de faire un vrai repas au restau, ce qui fait généralement mal au porte monnaie pour l’Italie.
Je ne crois pas qu’il y ait un prix spécial vénitien. J’en ai entendu parler, mais je pense que ça tient un peu de la légende. Même si, c’est vrai qu’on m’a déjà proposé, dans un magasin de fringues, de me faire une ristourne « à toi qui habite Venise ». Mais bon, de là à savoir si ça ne tient pas plutôt à une stratégie de commerçant qui veut pousser à l’achat…

venise pêche

« Globalement, la règle, c’est que s’asseoir coûte cher »

 

* J’ai trouvé qu’il y a à Venise, un vrai souci de propreté. Peu de poubelles ou du moins toutes petites, le vent fait s’envoler facilement les papiers et les sacs en plastique qui sont déposés au pied des containers, quand ils ne sont pas éventrés par les chats. Qu’en penses-tu ?
Le problème c’est qu’évidemment, il n’y a pas de camion poubelle dans les rues ! Un bateau vient collecter les ordures des quelques containers situés dans les quartiers où les rues sont larges. Dans les ruelles, c’est au porte à porte que sont récupérées les ordures ménagères. Ce système fastidieux pousse les vénitiens à utiliser les poubelles publiques pour abandonner leurs déchets, c’est pourquoi elles sont équipées de grilles… De mon côté, j’ai « de la chance » (on me l’a beaucoup dit), car j’habite dans un quartier où les larges rues permettent l’installation de containers pour le recyclage.

* J’ai été surprise du nombre de chiens sur l’Ile. Et pourtant, cela ne doit pas être facile au vu des difficultés de la vie quotidienne : pas ou peu d’ascenseurs, peu de terrains verts, des ponts à enjamber sans cesse … les vénitiens aimeraient-ils se compliquer un peu plus la vie ?
Pour les vénitiens, vivre à Venise est normal. Et quoi de plus normal que d’avoir un chien ? Les animaux (et les enfants) jouissent d’une grande liberté sur la cité insulaire : ils ne risquent pas de se faire écraser !

 * J’ai trouvé que Venise a un côté très triste malgré sa beauté … beaucoup de palais sont à l’abandon ou presque, on voit bien que l’eau grignote les fondations …
Est-ce quelque chose que l’on ressent au quotidien ou pas du tout ? Les Vénitiens et les vieux notamment sont-ils nostalgiques d’un passé plus glorieux ? Le « c’était mieux avant » existe aussi à Venise ?
Je crois que le « c’était mieux avant » est un sentiment complètement humain. Je ne trouve pas que Venise soit triste. C’est peut être parce que j’ai passé pas mal de temps à Naples, ou à Carthagène en Espagne, villes bien moins entretenues que Venise, mais je n’ai pas cette sensation. La nostalgie d’un passé glorieux… je ne sais pas si les gens la ressentent, mais il est certain que Venise revient de loin ! D’une république régnante ayant bâti sa fortune sur le commerce, à une ville provinciale aux mains du tourisme de masse, il y a de quoi contempler le passé d’un regard, si ce n’est nostalgique, du moins songeur.

Venise musées

« Le calme est absolu à Venise »

 

* Au final, qu’est-ce-qui te manque le plus par rapport à une vie sur terre ? la présence des arbres ( il y en a finalement assez peu à Venise), le calme, la facilité des transports ?
Le calme est absolu à Venise. Aucun moteur ne vient troubler mon sommeil, c’est une ville merveilleuse car on s’y sent proche de la nature (malgré l’absence d’arbres), dans un monde d’iode, d’algues, peuplé de hérons, de cormorans, où les étoiles sont revenues car l’éclairage public est faible et où l’on a rendu la ville aux bruits. Parfois, quand je rentre chez moi le soir, j’entends tinter les couverts de mangeurs attablés je ne sais où, tandis que l’eau clapote sur les canaux. C’est absolument magique. Non, ce qui me manque, c’est peut-être la fête, le chaos d’une soirée romaine, l’effervescence d’une place remplie. Mais ce n’est que le début, et les brumes de décembre chassent les fêtards : j’attends le printemps pour découvrir une Venise qui vit dehors.

* Et crois-tu que la magie de Venise peut opérer toute une vie ?
Selon l’un de mes élèves, il y a plusieurs phases dans la vie d’un vénitien, dans son rapport à sa ville. Avoir envie de la quitter pour une ville complètement différente en fait partie. C’est une question que je me pose souvent : comment se construit le regard sur le monde d’un enfant né au milieu de cette ville d’eau ?
Parfois, je donne cours dans des salles sous les toits dans un vieil immeuble. Par la fenêtre, on voit le campanile, la place Saint Marc … avec mes élèves, on s’amuse à reconnaître les bâtiments, tandis qu’un énorme bateau de croisière pénètre dans la ville. Moi je trouve ça complètement dingue, pour eux, c’est leur univers.
Je n’ai pas vraiment de réponse à cette question. Je crois que c’est avant tout personnel. Finalement, on pourrait poser la question à l’envers, avec des villes étouffées par les voitures, le bruit et la pollution, comme Paris par exemple : est-ce que la magie suffit pour toute une vie ? Pour moi, après six mois à Paris, la réponse était non. D’autres, assurément, trouvent une réponse différente à la question.

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Merci beaucoup à Lucie, qui a pris le temps de répondre à mes questions et de nous avoir fait voyager quelques instants.
Vous pouvez retrouver toutes ses aventures d’expatriée sur son blog Occhio di Lucie. Si vous êtes comme moi, amoureuse de l’Italie, vous ne pourrez résister à ses découvertes, vous êtes prévenues 🙂

Et maintenant, j’ai comme une envie de repartir voir Venise, pas vous ?

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