bar le drôle d'oiseau Carpentras

Samedi 13 mai – Carpentras – Le Drôle d’oiseau – 19h45

La pluie tombe sur Carpentras, il ne fait pas chaud. Les saints de glace retiennent les carpentrassiens chez eux, je rentre dans une salle calme.

Je suis accueillie par un jeune garçon. Je devine vite sa différence. Je m’installe près de l’entrée, sur une antique table de backgammon en bois. La déco du lieu est tout ce que j’aime. Datée, chinée, récupérée, porteuse d’histoires, de merveilleuses amours de famille ou de tristes séparations.

C’est soir de concert au Drôle d’oiseau, je sais que les habitués vont arriver. Le temps de commander une vieille mule ambrée. Une bière artisanale.

Les inconditionnels du Drôle d’oiseau ne sont plus des gamins mais dansent plus souvent qu’à notre tour se foutant bien du regard des clients arrivés là par hasard :

“Tiens mais on danse à Carpentras ?”

Mya Syde, l’artiste du soir, passe près de moi. Je lui demande ses inspirations. Janis Joplin et Amy Winehouse. Ça me va !

Le jeune garçon salue tous les arrivants, fait des câlins aux dames, se balade dans la salle, curieux des uns et des autres. Il regarde droit dans les yeux sans sourciller.

Les bières sont servies en même temps que les frites. L’accord parfait. Je plonge mes doigts dans le bol, fabrication maison. Les frites dans la mayonnaise, maison elle aussi. C’est gras, c’est bon. Plaisir non coupable.

Un type au chapeau en feutre passe le pas de porte.

“Monsieur, votre cigarette s’il vous plaît”

le rappelle à l’ordre Ingrid, la patronne du Drôle d’oiseau.

Plus de poulet crousti, on se rabat sur la planche de charcuterie, le mix à tartiner.

Le jeune curieux est accompagné par sa maman, la cinquantaine resplendissante. Un homme la rejoint. Son amoureux. Deux verres de rouge. Ils discutent, les bouches proches, les fronts se cognent, ils rient. Des gamins malgré les signes du temps qui passe.
Sa main à elle descend dans son dos à lui. 

En cuisine, Léo prépare camembert au four, brick saumon épinards et risotto d’asperges.

Mya commence à chanter. Sa voix est chaude, un peu rauque.

Au fond de la salle, seul à une table, une vraie gueule. La gueule de celui qui a vécu bien des aventures. Je l’imagine explorateur d’un quotidien décalé un peu hors norme. C’est chiant les cadres. De larges bagues argentées à chaque main, les cheveux longs depuis longtemps devenus gris, barbe longue, la moustache à l’ancienne, écharpe autour du cou, je vous ai dit qu’il faisait frisquet ce soit à Carpentras. Je regrette de ne pas avoir mon appareil photo, je lui aurais tiré le portrait. Surpris au début, il m’aurait peut-être accordé un sourire. C’est souvent les gueules fortes qui offrent les plus doux des sourires.

La nuit tombe sur la ville tandis que Mya chante une dernière danse d’Indila

“et je danse, danse, danse …”

Une bière, un verre de vin blanc sont posés sur une table pour 4. Personne devant les verres. Leurs propriétaires ne sont pas loin. Là encore, un couple d’amoureux. Ils se sont tenus la main au-dessus des boissons un instant avant de remettre leur veste pour aller fumer sur la place du marché aux oiseaux. C’est l’une des plus jolies places de la ville.

C’est ici que se passait la vente des bestiaux au temps de la vie ancienne. 

Le jeune garçon se balade toujours entre les clients, il salue maintenant le type accoudé au comptoir derrière moi. Il connaît les paroles de Back to Black d’Amy par cœur.

A gauche, le couple d’amoureux se partage un fraisier 100% local entre deux rires, deux caresses. M’est avis que leur nuit sera courte… 

Presque 22h. Nous avons vidé nos bières, englouti nos bols de frites, dégusté nos planches de charcuterie. Nous rentrons, l’humidité ambiante à raison de notre énergie. Nous reviendrons. On revient toujours au Dô. 


Cet article a été publié dans la gazette Paillette numéro 2.


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