Je m’installe à une table devant le Livre Gourmand sous les halles, la pluie du matin a cédé sa place au soleil, les températures ont suivi le tempo. On croise dans les rues cet après-midi là, aussi bien des robes d’été que des doudounes.
C’est jour de fête aujourd’hui à Carpentras. Le Japon et ses traditions envahissent les rues, les commerçants ont décoré leur vitrine, la chapelle du collège expose des teintures colorées, les bars et restaurants ont bousculé leur carte. Bye bye les berlingots et les fruits confits locaux, à la place c’est sauce soja, tofu, matcha, udon … la capitale du Comtat Venaissin a une saveur étonnante.
Dans les halles anciennes, des lampions en papier rouge, noir et blanc dansent au-dessus de nos têtes.
Sous le passage Boyer qui accueille les concours de dessins de la journée, de larges pans de tissus peints semblent descendre du ciel, tout en légèreté.
A ma gauche, la Cité Interdite, the place to be aujourd’hui. On s’arrête parler à Claire et sa maman Françoise, maîtresses des lieux. Claire porte un masque curieux, elle me dira plus tard qu’il représente Kapa, l’esprit des rivières. Je souris mais pas longtemps, l’esprit est farceur. Un peu plus même, il mange les enfants. Heureusement, Claire a prévu des concombres en nombre, ils calment leur appétit féroce.
Pas de crainte, les enfants sont à la fête ce samedi, l’équipe de l’association Vent d’Asie leur a préparé des ateliers : calligraphie, lectures de contes, jeux de piste dans la ville, démonstration d’arts martiaux …
Je commande un thé aux agrumes et une part de flan. Rien de très japonais. Oups.
A côté de moi, un couple. Elle, une cinquantaine d’années, fines lunettes, cheveux longs détachés, tenue décontractée. Quelque chose me fait dire qu’elle s’habille comme ça toute la semaine.
Je la connais, je l’ai déjà croisée. Je ne sais plus où.
Lui, je n’ose me retourner pour le regarder, les tables sont proches les unes des autres. Je découvre son visage lorsqu’ils se lèvent pour rentrer. Je vois surtout l’arrière de son crâne, ils partent en me tournant le dos.
Les ados passent et repassent entre la librairie Gulliver pour les mangas et la Cité Interdite pour les onigiri, des boulettes de riz farcies. Ils ont de drôles de tenues nos ados aujourd’hui. Jupettes pour les filles, bas résilles, chaussures à plateformes, cheveux blonds, roses ou noirs corbeau, beaucoup de dentelle, on dirait des écolières au style très affirmé … Je les imagine lundi matin attendre devant Marie Pila, le lycée privé de la ville. Je ris intérieurement.
On appelle ça du cosplay, les ados donnent vie à leur personnage d’animés préférés. Naruto, One-Pièce, Pokemon … vous connaissez forcément.
Les garçons sont plus discrets dans leur fantaisie. Comme souvent, les filles osent davantage.
“1000 excuses, je n’ai plus le cerise. Il me reste le myrtille et l’abricot…”
… annonce avec sa voix chantante Jessica à la table d’à côté. Je regarde la carte, curieuse, ce sont des jus de fruits en biodynamie. Mazette !
Une légère odeur de friture chatouille mes narines … les dorayakis certainement, des sortes de pancakes fourrées à la pâte d’haricots rouges.
A ma gauche, pas la table du couple dont je connais la femme, l’autre, un peu plus loin, une mère et son ado. Jessica dépose devant eux une théière et un coca light.
Le thé est pour l’enfant, le coca pour la maman. Ne jamais se fier aux apparences.
Les cloches sonnent 18h.
Un exemplaire du Vaucluse matin de ce 24 septembre est posé sur une chaise.
Je termine mon thé et mon flan moelleux, il est temps de rentrer.
Je quitterai le Livre Gourmand cette phrase en tête, venue de nulle part ou de partout autour de moi :
“tout est sous nos yeux et pourtant, nous ne voyons rien.”
Koyo veut dire "feuille rouge", le Momijo Koyo au Japon est la chasse aux feuilles rouges et dorées, synonyme du changement de saison et de l'arrivée de l'automne.
Marie-Décile Drécourt, créatrice du podcast Esperluette donne vie à mes épisodes du Travel Bar sur son chouette podcast. Ecoutez-le ici !