La file d’attente devant la synagogue me pousse vers la Maison Jouvaud. Je m’installe sur une table à l’entrée, un peu dans le courant d’air.
Je commande un cappuccino, un gâteau le “citronnelle”. Rectangle à la régularité parfaite, quelques morceaux de citron confit déposés sur une pellicule blanche et un minuscule carré de chocolat Jouvaud Isle sur la Sorgue. C’est vrai, la maison est aussi là-bas.
A ma gauche, ils sont trois. Une famille. Elle est élégante sans en faire trop. Peau noire. Veste jaune. Sneackers noires lacets jaune, chemise noire, jaune, blanche, casquette en jean.
Lui. De larges épaules, certainement pour cela qu’il porte un polo de rugby. Il n’a plus la taille de sa jeunesse, ni la chevelure d’ailleurs. Petites lunettes, il tapote sur son smartphone.
La petite fille me tourne le dos. D’elle, je ne vois que la veste en jean et les cheveux tressés serrés.
L’atmosphère est joyeuse. Chacun profite de sa journée, on sait que la douceur de l’après-midi va commencer à décliner et dans quelques heures le blues du dimanche soir nous saisira la gorge.
En bruit de fond, un album de Jean-Jacques Goldman.
La table au fond à gauche. Une femme seule. Cheveux lisses, bruns, racines blanches, sa jambe et son bras droit tremblent. On devine une affection, une maladie, un truc pas sympa. Devant elle, sur le marbre, une petite bouteille d’eau, un sac plastique.
La serveuse pose devant moi une tasse mousseuse, une assiette avec ma gourmandise citronnée. A côté, le vase surmonté d’un bouquet de fleurs séchées – lavande, saladelle, eucalyptus – je ne résiste pas à la photo instagrammable.
La voix de Jean-Jacques Goldman est couverte par le bruit du mousseur de lait. Cet après-midi, les chocolats à l’ancienne ont du succès, les latte aussi.
Un jeune homme rentre. Mat de peau. Portable collé à l’oreille. Langue que je ne reconnais pas. Il demande un expresso qu’il boit au comptoir. Comme dans un bistrot. Il repart aussitôt.
La femme fragile se lève, change de table. Remet très lentement son foulard. Elle le fera plusieurs fois. L’enlever, le remettre, l’enlever puis le remettre.
Je vois l’intérieur de son sac en plastique, de la menthe fraîche et de la farine ou de la poudre d’amande. Achetés certainement dans l’épicerie à quelques pas de là.
Les thés sont servis dans de petites théières en métal argenté.
Camille me dira plus tard qu’elles viennent d’Inde. Commandées pour la vente mais finalement non, on les a conservées pour le service.
On dirait que la petite fille joue à la dinette.
Il n’est pas le seul. Les nanas de la Maison Jouvaud ne peuvent s’empêcher de fredonner entre deux clients. On le fait tous.
Camille esquive quelques pas de danse, voit mon regard sur elle, s’esclaffe la main devant la bouche, s’excuse.
Au-dessus de ma tête, des branches d’olivier séchées, des luminaires – on voit à travers – ça fait mal aux yeux quand on les fixe. Autour de moi, des coussins imprimés, des assiettes en céramique, des cigales à accrocher au mur, des paniers, des chapeaux en paille, des tissus chatoyants.
La cuillère plonge dans le biscuit, amande puis citron, douceur et acidité. Délicieux.
Je ferme mon carnet emportant avec moi les paroles de Jean-Jacques, le rire de Camille et la poésie de ce moment volé au quotidien.
Cet article a été publié en février 2023 dans la gazette Paillette !
Marie-Cécile Drécourt, créatrice du podcast Esperluette donne vie à mes épisodes du Travel Bar sur son chouette podcast. Ecoutez-le ici !